La corrosion des aciers dans le béton constitue la principale cause de vieillissement prématuré des structures en béton armé. Cette pathologie naturelle ne fait aucune exception et représente une menace omniprésente pour la durabilité des ouvrages essentiels tels que les bâtiments, ponts, tunnels, centrales nucléaires, châteaux d’eau, ou encore des églises.
L'impact de la corrosion sur nos structures en béton
Selon un récent rapport de l’association américaine de la corrosion (NACE), les coûts directs de la corrosion des aciers dans le béton représentent 3,5% du PIB des pays industrialisés [1]. À ces coûts directs, s'ajoutent les coûts indirects difficilement quantifiables tels que les pertes d’exploitation liées à l’immobilisation de la structure, les assurances en cas de sinistre de l’ouvrage, ...
L’effondrement du pont Morandi à Gênes en août 2018 a profondément marqué les esprits, amorçant ainsi une prise de conscience collective sur le vieillissement inquiétant des infrastructures en béton [2]. Une étude italienne a mis en lumière le rôle prépondérant de la corrosion des armatures dans l'effondrement de l'ouvrage d'art génois [3]. Cette tragédie a rappelé aux gestionnaires d'ouvrages que les infrastructures en béton ont une durée de vie limitée et qu’il est de leur responsabilité de les surveiller et de les entretenir.
Outre le poids économique pour la société mondiale, la corrosion des infrastructures pose de réels problèmes en termes de sécurité des usagers, de dégradation de la qualité de vie (indisponibilité des installations, intensification du trafic routier...) et alourdit de façon significative l’empreinte carbone (consommation de ressources et d’énergie pour la réparation ou la reconstruction). La gestion proactive de la corrosion des aciers dans le béton devient ainsi impérative pour assurer la pérennité des infrastructures et la sécurité de tous.
La passivation de l'acier : un bouclier éphémère contre la corrosion
Le béton offre initialement à l’acier un environnement favorable à sa préservation. Au moment du coulage, le caractère fortement alcalin du béton (pH de 12 à 13) conduit à la formation d’une couche d’oxydes protectrice à la surface du métal conférant aux armatures une bonne résistance chimique [4]. Cette couche de passivation ralentit considérablement la vitesse de corrosion, l’amenant à un niveau négligeable au regard des durées de vie usuelles des ouvrages de génie civil. On qualifie alors l'acier de passif ou passivé dans un béton sain.
La passivation constitue l'une des clés du succès du béton armé dans l'histoire de la construction. Sa facilité de fabrication, de mise en œuvre, et son coût limité expliquent son utilisation intensive depuis près d’un siècle.
Cependant, le béton est un matériau poreux qui laisse s’infiltrer les agents agressifs de l’environnement tels que les chlorures (cf. partie 4) ou le CO2 atmosphérique (cf. partie 3). Ces agents entraînent inévitablement la destruction locale du film protecteur de l'acier, initiant ainsi un état de corrosion active des armatures.
La corrosion des aciers par la carbonatation du béton
La carbonatation du béton d’enrobage est une des deux causes de la corrosion des armatures. Ce risque de corrosion est pris en compte par la classe d’exposition XC de la norme NF EN 206/CN. Ce phénomène parfaitement naturel résulte de la réaction naturelle entre le dioxyde de carbone (CO2) atmosphérique et les phases calciques de la matrice cimentaire [5].
Le CO2, présent dans l’air à raison de 400 ppm, pénètre à travers la porosité ouverte du béton. Ce gaz se dissout dans la solution interstitielle formant de l’acide carbonique qui neutralise progressivement son alcalinité. Cette diminution du pH provoque la dissolution de la portlandite Ca(OH)2, puis la décalcification des C-S-H. Ce phénomène conduit à la formation de carbonate de calcium dans la matrice, qui est intrinsèquement plutôt favorable pour la durabilité du béton du fait du colmatage progressif de sa porosité.
Cependant, la chute du pH de la solution porale qui passe de 12-13 à des valeurs inférieures à 9 entraîne la dissolution des oxydes qui composent la couche passive protectrice. L’acier dans le béton carbonaté n’est alors plus passivé et une pile galvanique se crée avec le reste du ferraillage passif dans le béton sain. L'impact de la carbonatation du béton sur la dépassivation de l'acier peut s'illustrer en se référant au diagramme de Pourbaix, qui définit les domaines de stabilité du fer dans l'eau (Figure 2).
On distingue alors deux parties au sein de la structure : la partie saine en profondeur et la partie carbonatée en contact avec l’air ambiant. La technique la plus simple à mettre en œuvre pour mesurer la profondeur de carbonatation des bétons consiste à projeter un indicateur coloré sur une fracture fraiche de béton. La phénolphtaléine est l’indicateur le plus largement utilisé par la profession car il présente un pH de virage autour de 9. On distingue la zone carbonatée (pH < 9) qui reste incolore de la zone non ou peu carbonatée (pH> 9) colorée en violet. La profondeur de carbonatation est alors comparée à l’enrobage minimal de l’acier pour mettre en évidence l’implication de la pathologie dans le processus de corrosion.
La corrosion des aciers par les chlorures
La corrosion des aciers dans le béton peut également être initiée par les chlorures du fait de leur fort pouvoir oxydant [6]. Les chlorures dans le béton armé peuvent provenir d’une source exogène résultant de l'environnement marin et des sels de déverglaçage. Les chlorures peuvent également être présents dès la construction de l'ouvrage en raison de l'utilisation d'adjuvants activateurs, de l'usage de granulats marins non lavés, ou encore du stockage des armatures exposées aux embruns. Cependant, la pollution par les chlorures exogènes, présents dans l'environnement, est la plus fréquente et est associée aux classes d'expositions XS et XD de la norme NF EN 206/CN (Figure 3).
Les chlorures dans la matrice cimentaire du béton se présentent sous deux formes principales :
Les chlorures libres, présents sous forme ionique et dissous dans la solution interstitielle ; ces ions sont susceptibles d'initier la corrosion localement lorsque leur concentration dépasse un seuil critique (Ccrit) [7].
Les chlorures liés, formant des précipités chimiques tels que les sels de Friedel, ou se fixant physiquement sur les hydrates de la matrice cimentaire. La fixation physique étant réversible, les chlorures initialement liés peuvent retourner en solution et contribuer à l'initiation de la corrosion.
La profondeur de pénétration des chlorures (libres et totaux) dans le béton d'enrobage est cruciale pour le diagnostic de la corrosion. La détermination de la teneur en chlorures repose sur l'analyse chimique en laboratoire de carottes ou de poudres prélevées directement sur site.
Comparer cette profondeur de pénétration avec l'enrobage minimal des armatures permet de déterminer si ces ions sont responsables de la corrosion. Dans le cas où les chlorures n'ont pas encore atteint les armatures, la connaissance du profil dans l’enrobage permet d’anticiper le risque futur de corrosion et de prendre des mesures préventives potentielles, qu'elles soient physiques (par ex., revêtement protecteur) ou électrochimiques (par ex., déchloruration). En revanche, si les chlorures ont pénétré profondément, initiant la corrosion de l'acier, la mise en œuvre d'une protection cathodique devient indispensable pour assurer la pérennité de l'ouvrage. Le profil en chlorures renseigne également sur la nature de ces derniers : un profil plat indique une pollution endogène, tandis qu'un profil décroissant suggère une pollution exogène.
La pile de corrosion galvanique
Malgré les différences dans les mécanismes de dégradation de la couche passive entre les deux pathologies, les conséquences demeurent identiques, à savoir l'initiation d'une zone de corrosion active. La dissolution de la couche passive conduit à la diminution du potentiel électrochimique de l’acier actif. En raison de cette différence de comportement électrochimique, une pile galvanique se forme entre la zone active et le reste du ferraillage encore passif [8].
Dans ce couplage galvanique, la dissolution du métal correspond à la réaction anodique qui fournit des électrons, consommés par la réaction cathodique. Dans la solution interstitielle basique du béton, cette réaction cathodique correspond à la réduction du dioxygène dissous. Il en résulte un échange de courant de corrosion entre la zone de corrosion active et le reste du ferraillage passif comme l’illustre la Figure 4.
Ce processus électrochimique conduit initialement à la formation d’oxydes de fer expansifs à l'interface entre l'acier et le béton. La croissance de ces produits de corrosion provoque rapidement l’éclatement du béton d’enrobage, entraînant à ce stade uniquement des problèmes esthétiques pour la structure (fissuration, coulures de rouille). En l'absence d'un traitement approprié, la corrosion aboutit progressivement à des dommages mécaniques de l'ouvrage, résultant de la réduction des sections d'armature, de la détérioration de l'adhérence acier-béton, et de la perte de ductilité de l'acier [9].
Conclusion
La corrosion est la principale cause de vieillissement prématuré des ouvrages en béton. Cette pathologie naturelle peut être initiée par la pénétration d’agents agressifs à travers la porosité du béton tels que le CO2 atmosphérique ou les chlorures présents dans les sels en embruns marins des zones côtières ainsi que dans les sels de déverglaçage utilisés dans les régions froides du globe.
L'initiation d'une zone de corrosion active engendre la formation d'une pile de corrosion galvanique avec le reste du ferraillage encore sain. À plus ou moins long terme, cette pathologie conduit inévitablement à un affaiblissement mécanique de la structure en béton, qui perd ainsi sa capacité à soutenir les charges (poids propre, trafic routier, etc.) pour lesquelles elle avait été initialement dimensionnée, entraînant inévitablement la ruine brutale de l’ouvrage.
Fort heureusement, il existe des solutions telles que la protection cathodique pour enrayer la propagation de la corrosion et les dommages structuraux qui en résultent. Un diagnostic de corrosion sur site et en laboratoire est primordial pour déterminer l’origine et l’étendue de la pathologie afin de préconiser le traitement le plus adapté.
Bluespine vous offre un accompagnement personnalisé et certifié, allant du diagnostic de votre ouvrage à la conception de la solution de traitement, grâce à notre méthodologie innovante basée sur 60 ans d'expérience cumulée dans ce domaine.
Kommentare